à l'envi

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La ronde de février 2014 : Lumière(s)

Peindre la lumière du temps

Monet, des peupliers au fil du temps

 

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La lumière est l’unique sujet peint par Monet. La lumière maquille le sujet qui n’est que prétexte, valet de chambre pour habits de lumière, miroir aux alouettes. Il peint l’atmosphère et les couleurs ont la lumière du temps qui change. Ses toiles traduisent les impressions avant l’aube frissonnant quand le noir se dilue, les ombres se détachent sur la pâleur de l’horizon, le premier chant timide transperce le voile flottant que le matin retire. Plus tard, au mitan du jour, quand le soleil à son zénith dompte les ombres soumises, au crépuscule qui allonge les formes jusqu’à l’ultime rupture: peindre, peindre à nouveau et encore, sous le même angle, le même portail de cathédrale, la même meule de foin, le même coude de la Creuse où fuit infiniment -comme le temps- un rapide sous le filtre des nuages qui glissent silencieux. A vouloir traduire le kaléidoscope capricieux de la lumière d’un jour qui passe, immortaliser ses impressions, comment Monet peut-il laisser sur ses toiles « le transitoire, le fugitif, le contingent » qui, par définition, ont déjà disparu dès que l’œil s’en détache, ne serait-ce que le bref instant pour chercher sur la palette leur miroir. Les plus grands s’en étonnent, jusqu’à Cézanne pour qui « Monet n’est qu’un œil, mais quel œil ! »

 

Monet, des ‘Creuse’

 

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En touches de couleurs, la Petite Creuse court et oblique pour retrouver la Grande Creuse derrière la butte. Au loin, plusieurs collines s’entrecroisent et le ciel -sa lumière- qui semble écrasé mène pourtant le bal, ou l’ambiance, quand terre et eau se teintent de son humeur.

La vue qui se présente à la sortie de l’ascenseur du neuvième étage chaque matin et chaque soir m’évoque Claude Monet. Un irrépressible besoin de fixer la lumière de l’instant me pousse à prendre, avec le même cadrage, la photo du même point de vue dont la variation de teintes en fait un paysage chaque fois sinon nouveau, du moins différent. Une infinie variation de tons et d’éclairages qui fascine quand on assemble les clichés en série, quand un seul vu isolément pourrait sembler banal. Je me demande ce qu’aurait fait Monet si il avait eu accès aux moyens technologiques actuels de photographie. Comment aurait-il utilisé son œil exceptionnel? On sait ce qu’en ont tiré d’autres artistes postérieurs au peintre, comme Warhol ou Wesselmann, en reprenant le concept des séries. Dans son immense production (plus de deux mille toiles recensées), Monet va peindre vingt-trois tableaux pendant son séjour de deux mois en Creuse, de mars à mai 1889, dont une série, une des premières, de onze toiles sur le coude de la Creuse à différents temps de la journée et sous des temps –ciels- différents.

 

« La vue qui se présente à la sortie de l’ascenseur du neuvième étage chaque matin et chaque soir m’évoque Claude Monet… »

 

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Quelles sont cette rage qui l’habite, cette obstination qui le nourrit, lui qui peste et se désespère, sur les berges de la Creuse, du temps capricieux qui l’oblige à peindre sous la pluie, jusqu’à attraper des gerçures qu’il calme en plongeant sa main meurtrie dans un gant imbibé de vaseline? Immortaliser l’instantanéité, c’est comme mettre en bouteille le flux et le reflux d’un océan millénaire. A quoi bon s’entêter? Quoi de plus fluctuant que les reflets de la lumière sur une mer agitée, ou sur un plan d’eau où flottent des nuages? Qu’à cela ne tienne, le porte-drapeau de l’impressionnisme, le pilier du pleinairisme est avant tout le peintre de la lumière et de ses reflets sur l’eau.

 

Monet, les nymphéas

 

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Il finira par trouver les sources de la lumière dans l’étang de Giverny, son jardin qu’il va peaufiner pendant plus de trente ans. Il perdra la vision du scintillement des couleurs éteint sous le rideau d’une cataracte qu’il fera opérer en désespoir de cause, quand les couleurs deviendront magma incohérent d’une rétine obscurcie. Jusqu’à la fin, les impressions retrouvées de sa rétine directement transmises à la pointe de son pinceau, sa quête de la lumière l’amènera au fil de l’eau où il la trouvera flottant au milieu des nymphéas. Il ne lèvera plus son regard, fasciné par le monde et les fées qui défilent sur le miroir de l’eau.

 

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Quotiriens, le 15 février 2014



22/05/2017
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