Dérangements - La Ronde de Septembre
15 Septembre, voici venu le temps de la ronde, un blogueur écrit sur un thème commun chez une autre qui écrit chez un/e autre, ainsi de suite jusqu'à boucler la boucle. Le thème aujourd'hui est : ouvrage(s).
J'ai le bonheur de recevoir Hélène (et Louise) alors que je me produis chez Guy que je remercie de bien vouloir m'héberger.
Louise Bourgeois. Nous nous sommes croisées, elle et moi, des Tuileries à Tokyo, et jusqu'à Bilbao sur les parvis et dans les salles des musées. J''ai suivi pas à pas l'essaimage de ses araignées, poursuivie par leurs œufs en résille qui sont comme des yeux. A Bilbao, je l'ai vue sourire, assise sur une chaise électrique, j'ai visité ses chambres pourvues de guillotine, et regardé passer des passants dé-rangés comme je l'étais.
Parce qu’elle dé-range, Louise, disant au travers de son œuvre ce qui ne se dit pas, bousculant l’ordre qui rassure, vous poussant dans les retranchements les plus inattendus, chassant le convenu. Je me suis souvenue de tous ces portraits d'elle, austère ou malicieuse, entourée de phallus de marbre ou de bronze, vêtue le plus souvent d'un sage chemisier blanc, cols à jours, dentelles ou plissés, comme une jeune fille rangée — quand elle n'était pas en tenue de travail. Instrumentalisant le photographe pour faire de ce jeu auquel elle se prêtait semble-t-il volontiers, comme un continuum de son œuvre, faisant du tout un vaste autoportrait qu'elle eût ou non appuyé sur le déclencheur.
Et puis, ce mois d'août-ci, je me suis plongée dans un récit, comme on plonge dans une piscine en alignant les longueurs, pour à la fois s’abstraire (oublier ?) et se concentrer sur les causes de tous les dé-rangements. Ce récit est celui d'une rencontre à New-York, en 1982, Louise Bourgeois face à face par Xavier Girard.
Quelques rendez-vous, en quelques jours, dont l'un fut consacré à la réalisation d'un masque de plâtre, sur une proposition imprévue de l’artiste qui aime surprendre. Un masque, une empreinte, sur le vif. L'historien de l'art, qui est aussi conservateur et plasticien, s'est fait alors modèle. Les yeux forcément clos, et la bouche ouverte aspirant par goulées l'air indispensable à la survie, le temps nécessaire à la prise du plâtre.
Ce face à face est au cœur du récit et de la rencontre dont sont narrés aussi les prémisses et les adieux.
Le sexe, la mort, l'effroi, la pression du groupe, le sort des femmes, «l'antagonisme persistant» entre hommes et femmes, jeunes et vieux, Noirs et Blancs, le licite et l'interdit, la réparation des fautes et la peur de l'effondrement, toutes les «situations affectives de base de la vie», comme disait Robert, la solitude, le couple, la maternité, le sexe, l'inconscient, la mort et la destruction sont des sujets bien assez obsédants pour ne pas voir à en inventer d'autres. [...] J'oubliais : la fragilité, la fragilité extrême des vivants. écrit Xavier Girard, rapportant la parole de Louise. Avant d’ajouter : Et, comment dire ? Une pointe de malice narquoise. L'humour de Louise Bourgeois et la goguenardise de celle à qui on ne la fait pas.
Et puis, comme un adieu, à l'heure du départ, l’auteur fait une visite aux musiciens du Caravage, et c’est la mise en correspondance inattendue de l’une et de l'autre, quand il fallut quitter le paysage de New-York en cette fin 1982 (paysage dont il est aussi largement question dans ce face à face). Rentrayer les lieux et le temps, rentrayer les rôles : l'artiste, les artistes, l'historien, le voyageur, l’écrivain, le modèle. Mais aussi les «regardeurs» et les lecteurs que nous sommes. Rentrayer chaînes et trames pour restaurer le temps comme Louise, experte aussi, en ouvrage de dames.
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