La ronde de Mai 2019: désir(s)
Pour la ronde, un sujet commun est choisi, sur lequel chacun s'exprime et publie chez un(e) autre qui publie chez le suivant jusqu'à boucler la ronde. Elle tourne tous les deux mois et chaque fois nous étourdit.
Le thème de notre ronde, ce mois-ci, est désir(s)...
Ainsi va la ronde aujourd'hui,
Hélène écrit chez Marie-Noëlle qui écrit chez Dominique H. qui écrit chez Noël B. qui écrit chez Guy D. qui écrit, ainsi que Jacques d'A. chez Franck (ici) alors que Jean-Pierre B. écrit chez Marie-Christine G. qui écrit chez Giovanni M. qui écrit chez Jacques d'A....
J'ai le double plaisir de recevoir aujourd'hui Guy D. et Jacques d'A et je publie ma participation chez Hélène que je remercie pour son accueil bienveillant et amical.
Twenty shades of Desire
Texte et illustration de Guy D.
« GERDA 1938 »
Texte et illustrations de Jacques d'A.
Auguste ANASTASI Vue de Dordrecht Plume
village de S[errières]
Mardi 4 oct.1938
cher F[rançois Lescure 1912-1944]
Je suis arrivé à S il y a deux jours, harassé du voyage et de moi même, fatigué, las, dubitatif et je t’en passe, dans un mauvais train glacial, où j’étais presque le seul voyageur. Il a presque gelé ce matin et je suis allé à pied - sept km qd même ! - vers la mer, une grève pâle sans pardon, entre ces grains d’automne qui cravachent les vitres et inondent l’âme. J’ai quitté S[teinbruch] il y a quelques jours, suis passé par Paris voir quelques uns de nos amis communs et me voici en France quand logiquement il vaudrait mieux retourner là bas, se sentir Suisse une fois pour toutes, car après les derniers événements qui sait ce qui nous attend ?? et quelles folies se préparent ? mais tu me connais je marche à contre-courant du temps, je ne devinerai jamais rien, ni aux réactions des gens, ni aux sursauts de l’Europe.
Serrières est un de ces villages de l’arrière-côte normande, si simple qu’il n’y a rien ou bien que des regrets: rien à en dire, rien à faire, rien à y chercher : comme la boulangerie et l’épicerie, le téléphone est au village voisin, et permet je suppose de joindre le médecin ou la préfecture. Et maintenant que faire: rêver de partir ? s’y préparer ? J’ai quelques livres pris au hasard et je vis un peu comme un chartreux, entraîné à tout recevoir faute d’avoir quoi que ce soit à donner.
Jeudi 6
Or j’ai croisé dans le village une hollandaise brune pleine de rires et de rondeurs, et qui paraissait très au goût d'un instituteur de quarante ans, lequel n’entend rien à sa langue et pas plus en anglais. Il lui montre ses ruches qu’il entretient avec le Maire, des photos où il brandit fièrement un essaim crépitant au bout d’une branche, la fille admire, rit beaucoup, mais se moque des deux vieillards. Elle travaillait en mercerie à Coutances, j’ai compris que sa famille s’était retirée de Hollande pour mettre un peu de distance avec l’Allemagne, et joindre l’Amérique par Cherbourg si c’est possible dans les jours qui viennent, le père tenait jusque là un magasin de tableaux à Dordrecht. Nous avons bien parlé, longuement, tard, marché sagement autour du visage dans le soir. Et bizarrement ces retrouvailles d’une conversation féminine m’ont tout regaillardi ! L’automne oui, le vent et la pluie peut être, mais le plaisir de plaire ah oui !!!
Samedi 8 oct
la nuit je pensais : comment écrire, oh non pas des livres, mais un seul, un brouillon toujours vif et sans couture, élégant, aux petites couches tréfines, lamellées, mots et images rythmées comme des battements de cœur, vivant donc ce livre c’est bien ce qu’il faut, vivant comme les traces, bave & mucus d’escargots, l’écriture comme une ville complexe aux multiples logettes et facéties que seraient les adjectifs et les goûts divers de la phrase, les syncopes et silences pour se déplacer secrètement et jouer derrière les paravents du langage, comme en jazz articuler des fragments des morceaux comme on peut, comme on arrive autant que possible comme si l’écrire était de première importance
Mardi 11 oct
C’est idiot mais à la regarder et à l’entendre, cette petite Gerda m’a redonné pour quelques jours, un peu de sel, un peu de cette joie que rien d’autre ne comble, parler en marchant ou assis au salon, écouter, regarder, entendre ce qui se dissimule derrière les mines et les mots, ce qui se cache d’allègre dans la mélancolie, de désespéré dans un sourire, voici qui est plus important que tout. Je fuis les groupes, j’exècre les foules qui gouvernent la folie de l'Histoire, seul m’intéresse l’inconnu à connaître, mais l’un après l'autre, sans témoin, sans lendemain peut être. Solitaire aimant les solitaires (…)
Mairie-Eglise de Serrières (Manche)
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