à l'envi

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La ronde de juin 2013 : Hôtel(s)

 

 

HÔTEL CALIFLOWER

 

 

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La route, interminable, est une bande magnétique qui défile sous les faisceaux louches des phares.

Depuis longtemps la lumière a fui.

La Mustang décapotée tranche dans le noir absolu d’une nuit sans lune.

Tout autour, le désert silencieux se retient.

Le vent chaud empèse les cheveux d’une fragrance lourde à l’odeur équivoque et entêtante.

De la radio, la roque Janis racole « O Lord, won’t you buy me a Mercedes Benz… ».

Les yeux brûlent, la tête est lourde de tant d’images récurrentes ; au bout de la route, enfin, une lueur — comme un plasma.

Il faut que je m’arrête pour la nuit — elle est là, qui m’attend sur le Seuil.

 

Je m’engouffre à travers la spirale de la porte, j’accepte l’aventure, je me perds dans les volutes de son parfum, quitte la réalité de la rue, et la suis qui me montre le chemin.

A l’intérieur, à toute allure — tout est leurre. Les pas s’enfoncent dans la moquette, les lumières tamisées, les plafonds bas, à l’oreille un murmure feutré de bienvenue comme un disque rayé, comme un disque rayé.

Nous marchons dans des couloirs sans fin ; aux murs des portraits déjà vus nous suivent du regard ; aux oreilles le même murmure de bienvenue des mêmes murs.

Des lumières rouges clignotent le long de notre descente et la chaleur se fait plus épaisse.

Arrivés à nos faims, elle ouvre en grand les portes de la perception.

Dans la salle de bal, la party bat son plein — boa, colifichets, colliers de perles sur seins nus et chanteur mort reconnaissant.

Le champagne coule à flot d’une cascade où s’ébattent des flamands roses.

Des lustres de diamants renvoient des arcs en ciel de lumière entre lesquels je la suis qui fraye notre chemin au milieu de couples qui dansent, lascifs. Des regards flous me toisent et glissent  — soudain je lance : « Garçon !…». Il se retourne, m’apporte un verre de vin noir et me dit : « Millésime 69, c’est notre dernière bouteille, que nous gardions depuis longtemps pour vous. »

La cuisse, lourde et ambrée, m’emplit le palais de soie.

En ce meilleur des mondes, la chouette éternue enfin quand passe le clochard céleste.

Dans un coin, le souvenir danse avec l’oubli.

 

Elle me tire par le bras quand, dans les miroirs, le reflet des visages s’estompe.

Chaque porte qu’elle ouvre donne sur un mur.

Le Seuil n’a plus d’issue.

Je me retourne vers elle qui s’évapore en fumée, me laissant seul dans un dédale de fleurs fanées.

La lumière crue m’aveugle et je tends les bras vers les murs pour me guider.

Mes mains s’enfoncent dans les parois couvertes d’algues acides qui s’introduisent entre mes doigts.

Les évaginations de la moquette s’enroulent autour de mes mollets et ralentissent ma fuite.

Au fond d’un couloir je vois un enfant qui joue sur un tas d’immondes chiffons sales où il puise, de ses petits bras, des lambeaux qu’il lit, un à un. J’avance péniblement vers lui – plus je m’enfonce plus il s’éloigne.

Alors je crie de toutes mes forces pour lui demander où se situe la sortie — je veux revenir au bord du Seuil d’où je suis venu — de m’attendre, garder mon souvenir au moins…

Mon cri est un murmure et la voix me souffle qu’il est vain de l’atteindre, de l’attendre — que je peux régler ma note mais ne pourrai jamais sortir.

 

Quotiriens, 15 juin 2013



09/02/2017
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